Clic! [Pv Ewen]

Une brise, légère et fraîche, balayait délicatement les étendues verdoyantes de l’Académie Seta, caressant au passage la peau pâle d’Ewen. L’administration devait pas mal dépenser en arrosage, songea-t-il, pour que la verdure de l’école ne soit que peu abîmée par la chaleur sèche estivale. Un geste bien peu écologique selon-lui, mais étant plus fan du bitume que de la nature cela ne le perturbait pas plus que ça.
Les rayons du soleil perçaient sur l’horizon, apportant de part leur angle des halos vanille-fraise sur le ciel encore bleuté, et présageant de la nuit approchant. La journée avait été belle – et chaude au désespoir de l’adolescent – et étant en plein mois de Juillet, la soirée allait encore s’étirer avant que l’obscurité ne s’installe reine. Levant un regard distrait du précis de physique qu’il étudiait, Ewen estima qu’il avait encore quelques heures à flâner dans l’académie avant que les ténèbres ne le surprennent.

Assis en tailleur sur un coin d’herbe – il avait opté pour la verdure malgré son aversion pour les bébêtes car le revêtement dégagé des allées était devenu presque brûlant au cours de la journée – à quelques mètres d’une fontaine que le clapotis ne dérangeait guère, l’adolescent avait passé la majeur partie de son après-midi libre à appréhender les équations du mouvement des planètes. Pas exactement la plus belle et palpitante des activités pour un garçon de son âge, mais extrêmement intéressante de son point de vue.
Le sac à bandoulière posé négligemment à côté de lui témoignait d’une matinée de cours relativement vide, et un tube de crème solaire jaune apparaissait distinctement entre une trousse et un classeur. De peau blanche de part ses origines Anglo-saxonnes, et fortement sensible au soleil, Ewen avait pris l’habitude de trimballer sur lui de quoi se tartiner les jours de beau temps. Les brûlures n’étaient pas exactement ce qu’il y avait de plus agréable, et le jeune garçon préférait être encore plus blanc que blanc à cause de la crème plutôt que rouge écrevisse en raison des coups de soleil.

Un éclair de lumière le coupa de sa lecture et stoppa un instant son train de pensées. Machinalement, il cligna des yeux et riva son regard sur le ciel. Rien, dans l’atmosphère, n’indiquait de l’orage. Se rappelant le discret bruit qui avait accompagné le soudain élan de luminosité, un son qu’il ne connaissait que trop bien, Ewen tourna la tête vers la provenance du « clic »… Et aperçut une jeune fille à quelques mètres de lui, un appareil photo à la main.
Elle lui paraissait un peu plus âgée que lui, et totalement inconnue à sa mémoire visuelle. Bien que d’une beauté physique assez banale, ses cheveux rouges et ses vêtements originaux auraient marqué l’adolescent s’il l’avait déjà rencontrée.

Trop occupé à ranger les informations qu’il venait de lire dans un coin de son cerveau, tout en observant la jeune femme distraitement, Ewen en oublia complètement de l’interpeller ou quelque autre acte qui aurait été le bienvenu pour une telle rencontre. Néanmoins, l’inconnue s’en chargea pour lui.

- Euh… salut.

Avec le teint cramoisi qu’elle arborait, l’adolescent était plus intrigué par le fait qu’elle ose l’aborder plutôt que de prendre ses jambes à son cou. Pas qu’il aurait préféré, mais un grand panneau arborant « panique » et « nervosité » clignotait au-dessus du visage de la jeune fille.

- Salut, répondit légèrement Ewen tout en continuant à observer son interlocutrice comme si elle était un intéressant cobaye. Pour la publication des images vous devriez voir avec mon agent et pour les autographes repassez demain, continua-t-il sur le même ton qu’il aurait pu annoncer qu’il allait faire les courses.

D’après les caractéristiques de l’appareil qu’elle tenait entre ses mains, l’inconnue devait soit A : être une passionnée de la photo ; soit B : être riche ; ou encore C : les deux. Lui-même appartenant au club photographie, et appréciant particulièrement prendre des portraits naturels, savait qu’il était fort possible de se retrouver dans ce genre de situation : où le poseur découvrait après coup qu’il avait posé. Et le photographe étant obligé de demander par la suite s’il en avait l’autorisation. Mais il n’y avait pas de quoi être aussi gêné que la jeune fille ne l’était ! Ca n’était pas outrageant ou délicat comme si elle l’avait photographié dans une tenue inadéquate ou à des fins douteuses… n’est-ce pas ?

- Ca n’est pas pour un magazine pédophile ou pour toute utilisation louche, j’espère ? demanda Ewen en plissant les yeux d’un air à la fois railleur et suspicieux.

Au regard de la tête éberluée que lui tirait la jeune fille, Ewen était finalement convaincu que lesdites photos n’avaient pas un objectif louche. Le contraire l’aurait beaucoup étonné, mais on ne savait jamais : l’habit ne fait pas le moine ! Même avec ses airs innocents et sympathiques l’étudiante – si elle appartenait bien à l’académie – pouvait tout à fait s’avérer être une psychopathe mégalomane dans toute sa puissance. … Ouay, et il était le descendant direct d’une poule.
Remuant mentalement son esprit, l’adolescent mit un peu d’ordre dans ses pensées et rangea de côté ses spéculations douteuses sur l’identité véritable de son interlocutrice, se concentrant sur ce qu’elle avait à dire pour sa défense. Sachant, bien évidemment, qu’il ne faisait que la charrier.

- Comment ça magazine pédophile ?? Et puis quoi encore ?! Tu me prends pour qui le petit ?! Non moi je fais des photos pour moi-même.

Le temps de quelques instants, Ewen afficha une mine boudeuse. D’accord il était petit, mais ça n’était pas la peine de le lui faire remarquer ! Ca n’était quand même pas de sa faute s’il avait hérité des gènes asiatiques côté taille et s’il faisait partie des plus jeunes de l’établissement ! Et puis être petit était pratique pour se faufiler partout et cela ne signifiait pas que son intelligence était inférieure à celle d’une asperge ! Oui, ce raisonnement était tout à fait puéril mais nous laisserons au jeune garçon l’impression d’avoir défendu son point de vue sans ajouter de commentaires.

- Quand je dis pour moi, c’est parce que ça me fait plaisir.

L’adolescent ne put s’empêcher de laisser un sourire moqueur se dessiner sur ses lèvres. Décidemment, son interlocutrice était loin d’être une oratrice débrouillarde vu qu’elle était capable de s’enterrer elle-même après avoir creuser sa propre tombe ! Ce dont, visiblement, elle se rendait compte à en juger le rouge de ses joues et le regard embarrassé qu’elle venait de détourner.

- Je n’en doute pas, commenta-t-il d’un ton sous-entendu.

Non, Ewen n’était pas réputé pour son tact ou la passivité de son verbe, et son esprit enfantin et critique ne pouvait laisser passer ce genre de propos sans y rajouter son grain de sable. L’adolescent avait la parole facile, qu’elle fut railleuse ou chaleureuse, et ne la maîtrisait que rarement lorsqu’il estimait qu’elle devenait véritablement blessante. Malheureusement pour la jeune fille, le rouquin ne trouvait pas que l’enfoncer d’avantage appartenait à cette catégorie, mais heureusement pour elle, Ewen avait l’esprit assez vif pour passer rapidement d’une chose à une autre.
Tapotant doucement du doigt sur l’épaule de son interlocutrice, qui venait de s’asseoir à côté de lui, afin d’avoir son attention, l’adolescent indiqua d’un mouvement de tête l’appareil photo qu’elle tenait entre les mains.

- J’peux voir le model, s’il te plait ? demanda-t-il intéressé.

S’il faisait de la photo à ses heures perdues – c'est-à-dire rarement – Ewen n’était pas forcément très calé niveau matériel et découvrait généralement son bonheur dans les mains des autres. Autrement dit, sa culture côté appareils photo dépendait directement de son entourage. En bon consommateur riche anti-écolo formaté, il n’hésitait pas à régulièrement changer son matériel de capture lorsque celui-ci lui paraissait obsolète.

- Je fais aussi de la photo, indiqua-t-il comme si cela expliquait tout.

Peut-être que la jeune fille appartenait aussi au club photographie. N’ayant jamais assisté à une de leurs réunions – c’est qu’il n’avait pas que ça à faire nan mais sans blagues – et n’étant que rarement passé au local attitré, Ewen ne connaissait pas les autres membres du club. Hormis le responsable et quelques autres gugusses qui étaient là lors de ses exceptionnelles venues.

L’adolescent prit délicatement l’appareil photo lorsque la jeune fille le lui tendit, une main sous l’objectif et l’autre stabilisant le corps. Il était de profil assez semblable au sien mais légèrement plus lourd… et peut-être plus récent. Effectivement, sur le pourtour de l’appareil, on pouvait lire en grosses lettres argentées « canon EOS 400D ». Et, évidemment, Ewen sauta à nouveau sur l’occasion pour lâcher un commentaire à sa sauce sur une tonalité moqueuse et légère.

- Merci pour l’info, j’faisais juste semblant de lire mon bouquin donc j’aurai jamais pu déchiffrer ces quelques mots. J’ai pas encore dépassé le stade de lire les grandes lettres séparées.

Lui-même possédait un 40D de la même marque et de la même série. Les fonctions de bases restaient les mêmes mais Ewen devait avouer que certaines facultés de l’appareil de la jeune fille dépassaient celles du sien. Néanmoins, à première vue, il ne lui semblait pas très intéressant de changer son modèle contre celui qu’il avait entre les mains.
Lorsqu’elle le lui reprit des mains, l’adolescent ne s’y opposa pas. Elle semblait déterminée à le bidouiller un peu, et connaissant son prix, tout comme le certain attachement des photographes à leur matériel, Ewen ne fit rien qui risqua de nuire à l’appareil photo et attendit patiemment qu’elle le lui retende… pour regarder les prises de vue qu’elle avait obtenues. Intrigué, le jeune homme regarda les images tout en les faisant défiler.
Le petit scientifique, bien que d’une intelligence certaine, n’était pas exactement maître dans l’art d’associer les formes et les couleurs, et arrivait rarement à des résultats satisfaisants lorsqu’il se lançait dans la délicate opération de prendre des photos. Il ne pouvait donc qu’être admiratif devant le travail de la jeune fille. Et même en poussant son côté maladroit en art, Ewen était assez sûr que les photos qu’elle avait prises étaient sublimes. … Même celle où, reposant avec son livre de physique sur ses genoux, il aurait eu l’air plutôt stupide si l’angle avait été différent.

- Elles sont superbes, commenta honnêtement le rouquin avec un sourire plus chaleureux que railleur.

Tout comme il n’avait aucune honte à se moquer ouvertement de la plupart des choses l’entourant, tout comme il n’hésitait jamais, ou presque, à poser les questions qui lui venaient à l’esprit, Ewen avait la langue tout aussi pendue pour les compliments lorsqu’il les pensait. Néanmoins, fallait-il encore oublier la facilité avec laquelle il critiquait pour oublier le choc de changement de ton, et prendre les éloges à leur juste valeur et ne pas les confondre avec du mépris dissimulé.

- En même temps, ça n’m’étonne pas trop, continua Ewen plus pour lui-même tout en jetant un coup d’œil au physique de son interlocutrice.

Tout en ayant un style vestimentaire particulier, le jeune homme devait avouer qu’il était arrangé avec un goût certain, et que l’ensemble était agréable aux yeux, bien qu’original. Le scientifique en lui eut un moment d’absence où il se demanda si un algorithme complexe neuronal déterminait l’aisance avec laquelle les personnes accordaient divers matériaux pour les rendre beaux en les rassemblant. Si c’était génétique ou épigénétique. Sachant que ses aînés et sa mère avaient des prédispositions à l’art, les chromosomes lui semblaient hors problème. Alors quoi ? Etait-ce parce qu’il avait eu une enfance troublée qu’il avait des goûts de chiotte ?

- Hum, bidule… ?

Ewen laissa en suspens la fin de son interpellation, histoire de laisser le temps à la jeune fille de compléter la phrase par son prénom.

- Ta jeunesse a-t-elle été traumatisante ? reprit-il après quelques secondes.

La question, totalement indiscrète et incongrue, avait pourtant eu tout un trajet logique dans l’esprit du rouquin, et se dernier était presque totalement inconscient du potentiel désastreux et embarrassant de ses propos. Ce qui pouvait se lire dans ses yeux brillant de curiosité et non de méchanceté.